Pour le spécialiste des réseaux sociaux Thomas Huchon, la vague de fausses informations qui s’est diffusée ces derniers jours sur X (Twitter) en rapport avec l’actualité dramatique au Proche-Orient est la conséquence des ajustements décidés par Elon Musk ces derniers mois. Ce journaliste d’investigation dénonce un engrenage qui facilite la mise en avant de contenus non vérifiés et manipulés.
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Le réseau X (ex-Twitter), est une fois encore au cœur d’une polémique, pour avoir permis la diffusion de fausses informations et de contenus présentés à tort comme ayant un lien avec les attaques du Hamas ou la riposte de l’armée israélienne. Des images ont ainsi été présentées de façon frauduleuse comme des témoignages des récents évènements, c’est le cas d’une vue d’enfants dans une cage présentés comme des prisonniers retenus dans la bande de Gaza, ou encore d’un tweet faisant état d’un prétendu bombardement d’une église à Gaza. Public Sénat s’est entretenu avec Thomas Huchon, journaliste et enseignant spécialisé dans l’étude des fake news et des théories complotistes.
Un certain nombre de fausses informations, de contenus manipulés sont particulièrement visibles sur les réseaux sociaux depuis le lancement des attaques du Hamas contre Israël samedi. Diriez-vous que ce type de contenus est plus nombreux et se propage plus vite que lors d’autres évènements survenus dans le passé ?
C’est désormais une espèce de mécanique terriblement habituelle. Chaque grand évènement d’actualité est vécu comme une espèce de double discours sur les réseaux sociaux, sur internet. Et cet évènement d’actualité vit une espèce de réinterprétation complotiste en temps réel sur les réseaux. On a vu ça pour tous les grands évènements d’actualité de ces dernières années, les plus terribles comme les plus anodins. Cette fois-ci, on a l’impression que ce qu’il se passe au Proche-Orient n’échappe absolument pas à la règle, et devient le révélateur d’un phénomène encore plus intense, important, dangereux.
Les évènements actuels arrivent dans une période où le principal réseau d’information immédiat, Twitter, le média de l’instant, que l’on va voir quand il se passe quelque chose, est devenu en un an, depuis le rachat d’Elon Musk, un cloaque dans lequel pullule la désinformation comme jamais. Et tout cela probablement avec une responsabilité énorme de la part de la plateforme. On n’a jamais vu autant de choses fausses circuler, de manière aussi intense et de manière aussi peu régulée par la plateforme. Et c’est ça qui est profondément sidérant dans le moment que vous vivons. Cela fait 10 ans que j’observe la désinformation sur différents réseaux, depuis samedi matin c’est un enfer.
Dans quelle mesure les changements opérés dans le fonctionnement de Twitter ces derniers mois sont-ils responsables de l’accélération de ce phénomène ?
Il y a trois choses qui ont changé fondamentalement sur Twitter depuis le 27 octobre 2022, date du rachat par Elon Musk. La première chose, c’est qu’Elon Musk a licencié une partie des employés de Twitter, beaucoup étaient des modérateurs, les gens dont le métier est de contrôler les choses horribles qui pouvaient circuler le réseau et de limiter la diffusion de contenu qu’on va qualifier de nocifs. Avant Musk, il y avait 2000 modérateurs sur la planète, déjà à l’époque ça ne suffisait pas. Là, on est dans une situation où Twitter ne se donne plus les moyens en interne de lutter contre la désinformation.
Le deuxième élément, c’est que tous les comptes complotistes, les personnalités d’extrême droite, ceux qui soutenaient parfois le terrorisme, des propos antisémites, les choses les plus horribles qu’on voyait circuler sur cette plateforme, bannis de cette plateforme, sont des milliers à avoir pu retourner sur la plateforme grâce à Elon Musk qui a décidé de leur refaire une place. Le problème n’est pas tant de revenir, mais qu’ils ont pu en plus bénéficier d’une nouvelle fonctionnalité, la certification payante. Ces gens qui sont des désinformateurs professionnels bénéficient d’une nouvelle fonctionnalité, la certification payante, qui donne plus d’audience à leurs contenus qu’aux autres.
Troisième effet, terrible dans cette histoire, c’est que les journalistes sérieux, les fact-checkers, ceux qui luttent contre les théories du complot, la désinformation, qui bénéficiaient auparavant d’un compte certifié, qui voyaient leurs contenus poussés par les algorithmes, l’ont perdu. Ceux qui disaient n’importe quoi ont acheté les comptes certifiés, et donc voient leurs contenus poussés, et ceux qui luttent contre la désinformation se sont fait décertifier par Twitter. Désormais c’est la règle de celui qui parle le plus fort qui gagne et celui qui paye le plus qui va être le plus vu.
Les sources qui relatent des évènements sur place, ou les comptes sincères dans leur expression, sont donc invisibilisés ?
Il y a quelque chose qui est propre à tous les réseaux sociaux : le cerveau humain réagit mieux aux informations négatives qu’aux informations positives. La désinformation, les théories du complot contiennent des choses plus violentes, plus choquantes, ces contenus sont un peu naturellement poussés par les algorithmes. C’est un peu la mécanique horrible des réseaux sociaux en général. Là, ce à quoi on assiste, c’est que finalement ces contenus-là sont mis en avant par la plateforme parce qu’ils sont issus de comptes certifiés payants, et donc qu’ils trouvent une visibilité supplémentaire. Ceux qui payent le plus sont les plus vus et ceux qui payent le plus sont les pires menteurs. Avant, Twitter était un peu complice par algorithme et par omission de la désinformation, désormais Twitter gagne de l’argent en étant payé par les désinformateurs. Twitter gagne de l’argent à nous raconter n’importe quoi, c’est pire qu’hier.
Le commissaire européen au Numérique, Thierry Breton, a fixé un ultimatum à X et Meta (le propriétaire de Facebook), en rappelant leur obligation en matière de modération et de retraits des contenus illégaux. L’Union européenne peut-elle fermer plier ces plateformes ?
Thierry Breton est le père du DSA, le Digital Services Act, un texte de loi européen supposé permettre à l’UE d’avoir plus de pouvoirs face aux plateformes. La principe nouveauté de ce texte c’est la force des amendes. En pourcentage de chiffre d’affaires, elles peuvent devenir très salées pour les réseaux qui ne respectent la loi. On imagine que la principale conséquence pour Twitter du non-respect de la loi européenne serait une grosse amende. C’est mieux qu’avant. Ce n’est malheureusement pas suffisant.
En réalité il faut se poser une question très simple. À Christchurch, le terroriste d’extrême droite Brenton Tarrant a assassiné plus de 50 musulmans en se filmant et l’a diffusé en direct sur Facebook. Et ce week-end, on a vu un certain nombre de terroristes diffuser leurs crimes sur Facebook, Twitter. Comment est-ce dans ces années qui ont séparé ces deux drames, on peut se retrouver avec le même problème ? Pourquoi les réseaux sociaux n’ont pas corrigé tout cela ? Parce qu’ils ne sont pas responsables de ce qu’ils diffusent. Je crois qu’il faut arrêter de se faire berner par ce mensonge inventé par les GAFAM pour nous faire croire qu’ils ne sont pas responsables de ce qu’ils diffusent et qu’ils ne sont que des tuyaux : ce sont des médias. Comme des médias, ils doivent respecter la loi et notamment la loi de 1881 sur la liberté de la presse. On ne pourra pas faire l’économie de contraindre ces plateformes à se comporter comme des médias, et donc à être responsables de ce qu’ils diffusent. On aurait dû fermer Facebook après Brenton Tarrant, et après ce qu’il s’est passé ce week-end, on aurait dû fermer Twitter, au moins le temps qu’il respecte nos lois.
Il est plus que temps que les pouvoirs publics comprennent que le problème qu’ils nous posent est un problème démocratique et qu’il va falloir l’affronter.
C’est donc un test pour le nouveau cadre législatif européen ?
L’Union européenne est probablement la seule institution représentative de l’intérêt collectif et des citoyens à lutter franchement contre les GAFAM. Elle s’attaque à leur hégémonie, aux abus menés en termes de désinformation ou encore de données personnelles. Chaque nouvel incident d’actualité sera un test de plus à la fois pour ces plateformes et leur capacité à y faire face – on voit bien qu’ils n’y arrivent pas – et aussi pour les pouvoirs publics. J’espère qu’ils auront la possibilité de traiter toutes ces questions, fondamentales.
Cette multiplication des fausses informations ne va-t-elle pas décourager une partie des utilisateurs et les inciter à quitter ce type de plateforme ?
Nombreux sont ceux à se poser la question de l’opportunité de rester sur Twitter. Le problème de Twitter ce n’est pas seulement la désinformation c’est aussi qu’on y a construit une forme de réseau d’information. Il va falloir pour que les gens quittent Twitter qu’il existe un service de qualité équivalente au moins dans la capacité à suivre des informations fiables. Pour l’instant, il y a des tentatives. Il faut clairement se poser la question et en même temps, se la poser dans l’autre sens. Finalement, la nature a horreur du vide. Je ne voudrais que nous laissions place libre à tous les désinformateurs, c’est très désagréable, mais il faut continuer à résister sur ces plateformes.
Author: Debra Smith
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